La Guinée a récemment adopté la première loi d’orientation agricole du pays, laquelle doit maintenant être mise en œuvre. Cela fait suite à quatre années de concertation et de plaidoyer, pendant lesquelles la société civile guinéenne a pu s’impliquer activement auprès du gouvernement dans l’élaboration de cette loi. Aïssata Yattara et Macky Bah expliquent ici comment l’inscription dans cette dernière des préoccupations clefs des acteurs à la base et au niveau national constitue une étape décisive pour protéger et promouvoir les exploitations agricoles familiales et lutter contre les accaparements de terres dans le pays.
Exploitants de la localité de Coyah ayant participé à une formation de la part de la CNOP-G et ACORD Guinée pour les sensibiliser au processus d’élaboration de la LOA (Photo : Aïssata Yattara)
Le gouvernement guinéen a tendance à favoriser une agriculture intensive à grande échelle. Cela se traduit par une ouverture du secteur agricole aux capitaux étrangers, et souvent au détriment de l’agriculture familiale, pourtant pratiquée par près de 70% de la population et source d’approvisionnement des deux tiers des marchés locaux pour la satisfaction des besoins alimentaires.
Au début de l’année 2024, la Guinée a adopté sa première loi d’orientation agricole (LOA), qui a pour objet de fixer les règles d’orientation pour développer la politique agricole, avec des implications importantes pour l’agriculture familiale, comme par exemple la lutte contre l’accaparement de terres agricoles. L’inclusion de ces dispositions reflète l’engagement et le plaidoyer de la société civile guinéenne, selon une approche participative et inclusive débutée il y a plusieurs années.
Un engagement au long cours
Entre 2020 et 2023, ACORD Guinea et la CNOP-G – deux organisations membres du Collectif des organisations de la société civile pour la défense des droits des communautés impactés par les grands projets (CODEC) – ont organisé des séries de concertations aux échelles locale et nationale afin de recueillir les préoccupations des communautés à la base et de les partager auprès du gouvernement guinéen dans le cadre de l’élaboration de la LOA.
En parallèle, nous avons également travaillé avec nos partenaires sur l’analyse des différents projets de la LOA ainsi que sur la stratégie pour aboutir à son l’adoption. Cet engagement a été mené en collaboration avec l’IIED, qui appuie le CODEC dans la mise en place de réformes politiques progressives qui améliorent le régime foncier et la gouvernance des ressources.
L’objectif des consultations était de protéger les droits des communautés rurales, et particulièrement des exploitants agricoles familiaux, conformément aux droits humains et aux bonnes pratiques internationales. Ces rencontres ont mobilisé plus de 1,500 personnes toutes catégories confondues sur l’ensemble du territoire, y compris des organisations professionnelles agricoles, des chefs coutumiers, des représentants des autorités locales, des leaders d’opinion, des communicateurs traditionnels et des représentants de femmes et de jeunes.
En parallèle, des prises de contact et séances de travail avec le ministère de l’Agriculture et de l’Élevage (MAGEL) et les partenaires techniques et financiers (Agence française de développement, Banque mondiale entre autres) nous ont permis d’analyser en détail le projet de LOA et de faire des propositions qui reflètent les préoccupations des communautés à la base. Ces préoccupations comprenaient notamment:
- Un soutien accru au développement de l’agriculture familiale
- Une prise en compte effective de l’agroécologie et de la préservation et valorisation des semences paysannes
- La reconnaissance et la protection des droits fonciers légitimes collectifs et individuels, notamment dans le domaine agricole, afin d’éviter l’accaparement des terres agricoles par les investisseurs nationaux et étrangers au détriment des petits exploitants
- La réduction des inégalités liées au genre, et l’accès des femmes et des jeunes au foncier rural et au développement agricole
- La légitimation du savoir et du savoir-faire paysans, et
- L’implication des organisations de la société civile dans tout le processus de formulation, de mise en œuvre, de suivi-évaluation et de pilotage de la LOA.
S’en sont suivies des négociations et un plaidoyer auprès du MAGEL, puis du Conseil National de la Transition (CNT), l’organe législatif ayant succédé à l’Assemblée Nationale suite à un coup d’État militaire en 2021.
Après le changement de régime, le CODEC a d’ailleurs dû reprendre les échanges avec la nouvelle équipe du MAGEL pour améliorer leurs connaissances et les sensibiliser sur le contenu de la LOA, dans l’optique de les convaincre de soutenir les propositions formulées par les exploitants agricoles familiaux au niveau local. À chacune de ces rencontres, ponctuées de débat, de négociation et de compromis entre les départements ministériels, le CODEC a été très stratégique pour s’assurer de la prise en compte de toutes les recommandations communautaires à travers des relectures systématiques et intégrales du projet de loi, une forte mobilisation des partenaires et un suivi régulier du dossier auprès du ministère.
Des retournements de situation successifs
Après la soumission fin 2023 du projet de LOA par le MAGEL au CNT, ce dernier a intégralement réécrit le texte jusqu’à début janvier. Nous nous sommes alors mobilisés de façon très rapide avec l’appui des partenaires du CODEC, et sommes parvenus à convaincre l’institution de réinsérer les dispositions les plus importantes en faveur des communautés.
Fin 2023, la LOA a finalement été adoptée à l’unanimité par les conseillers nationaux du CNT, et la déclaration officielle d’entrée en vigueur a eu lieu en mai 2024. Au total, nous avons organisé plus de 25 rencontres, dont 70% avec les communautés à la base et 30% avec le MAGEL et le CNT, en collaboration avec les départements techniques et les partenaires. Ce processus a abouti à l’acceptation de la quasi-intégralité des propositions du CODEC, ce qui, selon nous, reflète la portée et l’influence de nos efforts de plaidoyer.
L’appui technique de l’IIED et de l’Institut de recherche et de promotion des alternatives en développement (IRPAD) a aussi permis d’organiser des échanges d’expériences et des discussions sur les enjeux et les stratégies à adopter tout le long du processus.
L’approche participative et inclusive qui a prévalu dans les concertations avec les communautés, les partenaires techniques et financiers et les membres du CODEC a permis de fédérer les acteurs autour d’objectifs communs et de faciliter l’établissement d’alliances. Le CODEC a adopté une approche proactive vis-à-vis du ministère et du CNT, leur faisant des propositions concrètes et fidèles à celles formulées par les exploitants agricoles familiaux lors des concertations. La stratégie développée pour le plaidoyer auprès des décideurs et les alliances nouées ont aussi permis de parler d’une seule voix, donnant ainsi plus de crédibilité au CODEC et ses partenaires auprès de l’Etat.
Veiller à la mise en œuvre effective de la réforme
La LOA qui a été adoptée engage désormais l’État à élaborer à la fois une Politique foncière agricole (PFA) et une Loi foncière agricole (LFA).
Le CODEC poursuivra sa mobilisation pour s’assurer de la vulgarisation de la LOA, de l’élaboration par le gouvernement de ses textes d’application et de sa mise en cohérence avec la PFA. Il poursuivra aussi ses efforts pour la reconnaissance et la protection de l’agriculture familiale, et la lutte contre les accaparements de terres.
*Ce blog à d’abord été publié sur le site de l’ IIED »